"Audi est à nous" : ce que la fermeture du site automobile de Forest nous apprend

Les travailleurs d’Audi Brussels et des entreprises sous-traitantes restent profondément choqués par la fermeture annoncée du site.
Aides publiques massives
Audi Brussels a reçu plus de 157,7 millions d’euros d’aides publiques depuis 2018. Après les fermetures de Renault Vilvorde, Opel Anvers et Ford Genk, Audi Forest est l’avant-dernière usine d’assemblage automobile en Belgique. Le principe de l’accueil (à bras ouverts) des investissements étrangers, appliqué depuis 1935 en Belgique, est devenu contre-productif. Il est grand temps de lier explicitement ces aides à un ancrage pérenne sur le territoire, à la création et au maintien d’emplois de qualité, et à la compatibilité de l’activité avec les objectifs de la transition écologique. Si la firme ne remplit pas ces conditions ou qu’elle se désengage, cet apport public devrait être remboursé. Les syndicats devraient être associés à ces accords et pouvoir vérifier que les aides sont bien nécessaires à la réalisation des objectifs.
SOLIDARITÉ DANS LA LUTTE
Les constructeurs sous-traitent de nombreuses activités pour ne pas devoir apporter le capital pour celles-ci (sauf cas exceptionnels) et pour ne pas devoir payer ces salariés au niveau de ses propres travailleurs. En outre, elles peuvent jouer la flexibilité, voire la rivalité potentielle entre fournisseurs, pour obtenir des composants au prix le moins élevé.
Chez Audi Brussels, les représentants des travailleurs sont actuellement consultés sur les possibilités d’éviter ou de réduire le licenciement collectif, et sur les mesures sociales d’accompagnement. En parallèle, les négociations du plan social ont commencé, concernant notamment l’octroi d’indemnités de départ. A l’heure d’écrire ces lignes, il n'y a rien sur la table pour les travailleurs des usines sous-traitantes et des autres entreprises externes, qui assuraient le nettoyage, la sécurité, le catering et la maintenance du site.
Pourtant, les effets de la fermeture seront très graves pour tout le monde. Les usines sous-traitantes, totalement dépendantes d’Audi, ne pourront qu’acter leur fermeture lorsqu’Audi aura décidé de partir. Les travailleurs des sous-traitants ne veulent pas être les oubliés d’un futur plan social, comme l’ont été les 371 intérimaires non renouvelés en avril 2024. Ils réclament l’égalité de traitement avec les travailleurs de la maison-mère.
À Ford Genk en 2013, après plusieurs mois de perturbations et de blocages de l’usine, la lutte dure des travailleurs des sous-traitants leur avait permis d’obtenir (malgré la fermeture) le même plan social que celui des travailleurs de Ford.
Quelle démocratie économique ?
Autre constat : le groupe VW a un problème de surcapacité productive. Ses dirigeants refusent de réduire le temps de travail sans perte de salaire, pour maintenir l’emploi tout en réduisant la production globale. A l’inverse, ils choisissent de détruire un outil industriel de pointe, qui aurait pu être un levier important pour limiter notre dépendance économique et pour assurer la transition écologique.
Renault a récemment transformé son site historique de Flins (France) dans le reconditionnement de véhicules d’occasion (Refactory). A Gémenos, les travailleurs sont parvenus à sauver leur usine de thé et à la reprendre en main en coopérative (Scop-Ti). Près de Florence (Italie), les travailleurs de l’usine de pièces automobiles GKN, avec l’aide d’un comité d’experts, ont élaboré un plan de reconversion visant à produire des vélos cargos et des panneaux photovoltaïques durables. Ils se battent actuellement pour racheter eux-mêmes une partie de l'usine, vu l’absence de soutien du gouvernement italien.
Quoi qu’il en soit, il y a moyen d’envisager d’autres perspectives que la fermeture pure et simple. La vie et la mort d’Audi Forest, la production qui y est réalisée et le partage de la richesse qui y est créée doivent pouvoir faire l’objet d’une délibération démocratique. Les travailleurs et la collectivité doivent pouvoir peser sur les choix productifs. Parce qu’Audi est à nous.