Vos droits
bab449ae-2477-46b3-8fca-27c4c5741bd6
https://www.lacsc.be/vos-droits
true
Actualité
59ea6a04-d5cb-49bb-86bf-262457cb04b8
https://www.lacsc.be/actualite
true
Services
c7cddb17-187f-45c2-a0e2-74c299b8792b
https://www.lacsc.be/services
true
S'affilier
abbb02d8-43dd-44b5-ae75-3cd90f78f043
https://www.lacsc.be/affiliation
true
La CSC
c62ac78b-1aa2-4cb9-a33b-59e6fc085fb4
https://www.lacsc.be/la-csc
true
Contact
7f7bdd4f-c079-401e-a1bf-da73e54f00c2
https://www.lacsc.be/contactez-nous/pagecontact
true
Je m'affilie

"Audi est à nous" : ce que la fermeture du site automobile de Forest nous apprend

Les travailleurs d’Audi Brussels et des entreprises sous-traitantes restent profondément choqués par la fermeture annoncée du site.

À l’époque du passage du site sous la direction d’Audi, les travailleurs avaient fait des concessions importantes : le temps de travail était passé de 35h à 38h sans compensation salariale ; et la durée moyenne de travail devait être respectée, non plus sur un an mais sur six ans, en application d’un nouveau dispositif légal taillé sur mesure par le gouvernement ("plus minus conto") et qui a permis de réduire les coûts de 20%. Audi avait promis qu’avec l’attribution de la production de la Q8 E-Tron, l’ouverture de l’usine et l’emploi étaient garantis jusqu’en 2027. Aujourd’hui les travailleurs se sentent trahis.   

Aides publiques massives  
En 2021, les subsides directs, y compris les subsides salariaux, à l’industrie automobile en Belgique se sont élevés à 200 millions d’euros. Le montant a été multiplié par plus de 8 en 20 ans (+700%). Alors que ces subventions représentaient 0,9% de la masse salariale en 2001, elles représentent maintenant 10,8%. A cela, il faut ajouter les aides à l’investissement ainsi que les réductions de prélèvements obligatoires, telles que les réductions de cotisations sociales (non ciblées) et d’impôt des sociétés, qui constituent un "manque à gagner" pour l’Etat ou la Sécurité sociale. La transparence de toutes ces aides n’est pas toujours garantie. 


Audi Brussels a reçu plus de 157,7 millions d’euros d’aides publiques depuis 2018. Après les fermetures de Renault Vilvorde, Opel Anvers et Ford Genk, Audi Forest est l’avant-dernière usine d’assemblage automobile en Belgique. Le principe de l’accueil (à bras ouverts) des investissements étrangers, appliqué depuis 1935 en Belgique, est devenu contre-productif. Il est grand temps de lier explicitement ces aides à un ancrage pérenne sur le territoire, à la création et au maintien d’emplois de qualité, et à la compatibilité de l’activité avec les objectifs de la transition écologique. Si la firme ne remplit pas ces conditions ou qu’elle se désengage, cet apport public devrait être remboursé. Les syndicats devraient être associés à ces accords et pouvoir vérifier que les aides sont bien nécessaires à la réalisation des objectifs. 

SOLIDARITÉ DANS LA LUTTE  

Les constructeurs sous-traitent de nombreuses activités pour ne pas devoir apporter le capital pour celles-ci (sauf cas exceptionnels) et pour ne pas devoir payer ces salariés au niveau de ses propres travailleurs. En outre, elles peuvent jouer la flexibilité, voire la rivalité potentielle entre fournisseurs, pour obtenir des composants au prix le moins élevé.

Chez Audi Brussels, les représentants des travailleurs sont actuellement consultés sur les possibilités d’éviter ou de réduire le licenciement collectif, et sur les mesures sociales d’accompagnement. En parallèle, les négociations du plan social ont commencé, concernant notamment l’octroi d’indemnités de départ. A l’heure d’écrire ces lignes, il n'y a rien sur la table pour les travailleurs des usines sous-traitantes et des autres entreprises externes, qui assuraient le nettoyage, la sécurité, le catering et la maintenance du site.

Pourtant, les effets de la fermeture seront très graves pour tout le monde. Les usines sous-traitantes, totalement dépendantes d’Audi, ne pourront qu’acter leur fermeture lorsqu’Audi aura décidé de partir. Les travailleurs des sous-traitants ne veulent pas être les oubliés d’un futur plan social, comme l’ont été les 371 intérimaires non renouvelés en avril 2024. Ils réclament l’égalité de traitement avec les travailleurs de la maison-mère.

 

À Ford Genk en 2013, après plusieurs mois de perturbations et de blocages de l’usine, la lutte dure des travailleurs des sous-traitants leur avait permis d’obtenir (malgré la fermeture) le même plan social que celui des travailleurs de Ford.  

Dix mois après la restructuration de 2006, près de deux tiers des anciens salariés de VW n’avaient pas trouvé d’emploi3. Les travailleurs savent qu’ils doivent arracher le plus possible à la direction d’Audi maintenant. Car de l’argent, il y en a ! En 2023, le groupe a versé 11,7 milliards de dividendes à ses actionnaires (+169%), ce qui représente plus de 17.000€ par travailleur du groupe. Plus de 5 milliards ont déjà été versés au 1er semestre 2024. Les hauts managers, rétribués en fonction des résultats boursiers du groupe (stock-options, bonus, parachutes dorés), n’ont jamais été si bien servis. Le CEO du groupe, Olivier Blume, a touché 9,7 millions d’euros (contribution à sa pension comprise). Sa rémunération a augmenté de 36% entre 2022 et 2023 (après +49,1% entre 2021 et 2022 et +74,8% entre 2020 et 2021) alors qu’en comparaison, le salaire moyen des travailleurs du groupe a chuté de 14% en 2023 !  

Quelle démocratie économique ?  
En 2018 déjà, la décision d’assembler la Q8 apparaissait comme un pari risqué, puisque le groupe VW avait raté le virage de l’hybride et n’était guère présent sur le marché des voitures électriques. Aujourd’hui, il est évident que ce choix est en partie responsable de la situation actuelle. La Q8 est un SUV haut de gamme, qui s’affiche à d’un prix d’entrée de près de 90.000€, et dont les ventes sont en recul (quoique encore positives) face aux véhicules électriques chinois moins luxueux, moins lourds et nettement moins chers. Malgré le retard, il n‘est pas trop tard pour réorienter la production vers ce type de véhicules, dont la population a bien davantage besoin !    


Autre constat : le groupe VW a un problème de surcapacité productive. Ses dirigeants refusent de réduire le temps de travail sans perte de salaire, pour maintenir l’emploi tout en réduisant la production globale. A l’inverse, ils choisissent de détruire un outil industriel de pointe, qui aurait pu être un levier important pour limiter notre dépendance économique et pour assurer la transition écologique.  

En définitive, la collectivité octroie des aides publiques massives, mais elle est complètement dépendante des choix désastreux des dirigeants du groupe. A l’heure d’écrire ces lignes, Audi n’a accepté aucune des 24 alternatives qui étaient sur la table pour le site, ni aucun des 26 investisseurs qui se sont manifestés. C’est inacceptable ! Est-ce normal que ce soit encore une fois Audi qui décide, seul, d'enterrer l’avenir industriel du site ? Les pouvoirs publics devraient disposer de la faculté de reprendre les outils de production délaissés. Les politiciens belges et européens ne cessent de disserter sur la nécessaire réindustrialisation de l’Europe, mais les travailleurs attendent des décisions concrètes, pas des effets d’annonce.  
+ PUBLICATION | Retrouvez ce dossier dans notre "Droit de l'employé de novembre 2024"


Renault a récemment transformé son site historique de Flins (France) dans le reconditionnement de véhicules d’occasion (Refactory). A Gémenos, les travailleurs sont parvenus à sauver leur usine de thé et à la reprendre en main en coopérative (Scop-Ti). Près de Florence (Italie), les travailleurs de l’usine de pièces automobiles GKN, avec l’aide d’un comité d’experts, ont élaboré un plan de reconversion visant à produire des vélos cargos et des panneaux photovoltaïques durables. Ils se battent actuellement pour racheter eux-mêmes une partie de l'usine, vu l’absence de soutien du gouvernement italien.

Quoi qu’il en soit, il y a moyen d’envisager d’autres perspectives que la fermeture pure et simple. La vie et la mort d’Audi Forest, la production qui y est réalisée et le partage de la richesse qui y est créée doivent pouvoir faire l’objet d’une délibération démocratique. Les travailleurs et la collectivité doivent pouvoir peser sur les choix productifs. Parce qu’Audi est à nous.