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Uber files : Il n’est jamais trop tard pour se rendre compte qu’il y a un loup dans la bergerie

Le plus étonnant est l’étonnement. Certes les document internes de Uber qui confirment leur stratégie agressive de lobbying, la mise sous pression organisée des autorités publiques, y compris par la violence, sont précieux. Mais ils ne font que confirmer ce que tous pouvaient déjà voir. Ce n’est pas faute d’avoir diffusé l’image d’un ministre belge filant à Davos rassurer une vice-présidente de Deliveroo, en janvier 2018, lorsqu’une révolte de ses coursiers menace la plateforme en Belgique. D’un côté son cabinet dit comprendre les travailleurs, de l’autre le ministre dorlote les lobbyistes. 

L’organisation, par Uber, d’une soi-disant « initiative citoyenne », en Californie, fin 2020, pour contrer la loi de l’Etat (la proposition 22, dont la conformité avec la Constitution est actuellement mise en question) est, de l’intérêt démocratique, tout aussi édifiant. Dorénavant les loi s’achètent. 

Prétendre, comme le dit Uber, que tout cela est du passé est facile et trompeur: 

  1. Si ces plateformes ont l’influence qu’elles ont aujourd’hui, c’est bien parce que leur stratégie était de s’implanter de manière forte et brutale, et devenir incontournables. On croirait entendre un dictateur qui, après avoir envahi la moitié du pays voisin, en appelle à la paix, maintenant qu’il a ce qu’il voulait.
  2. L’activisme des plateformes n’a jamais été aussi grand pour essayer de contrer les différents projets législatifs qui, finalement, veulent bien reconnaître et légaliser leur activité, tout en la cadrant un minimum.  Même ce minimum semble de trop:
  • La Région Bruxelloise est en train de réformer son secteur taxi, poussée dans le dos par les jugements qui ont constaté l’illégalité du système Uber. Il s’agit d’officialiser les plateformes, mais le cadre (notamment le numerus clausus) semble encore trop étroit pour Uber qui n’hésite pas à jouer avec les différences régionales, en faisant rouler des voitures des autres régions pour faire exploser le marché bruxellois.
  • Le gouvernement belge se propose de faire bientôt voter son « deal emploi », avec un chapitre sur l’économie de plateforme. L’objectif vanté est celui d’une présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes qui organisent le travail (comme Uber et Deliveroo), pour enrayer l’énorme précarisation en cours. Mais le projet de loi a été vidé totalement de son contenu par le lobbying des plateformes, relayé complaisamment par certains cabinets. Le Parlement va voter une coquille vide.  Rendez-vous dans un an : si rien n’a changé, le gouvernement aura démontré sa perméabilité à un lobbying efficace et destructeur.
  • Au niveau européen, un projet de directive allant lui aussi dans le sens d’une présomption de salariat à certaines conditions, a été déposé, mais fait actuellement l’objet d’une intense activité de guérilla pour, comme en Belgique, le vider de son contenu. Ici encore les lobbyistes des plateformes ont leurs relais politiques.
Les plateformes (et certains de leurs alliés) savent qu’elles dessinent les règles du travail du futur. Car bientôt leurs règles seront la règle partout. Les mandataires politiques doivent se ressaisir. Quand certains accompagnent (complaisamment pour les uns, naïvement pour les autres) les plateformes, les autres se contentent « d’avoir essayé ». Les Uber files qui étalent l’hypocrisie de quelques acteurs qui ne poursuivent que leur intérêt propre, et certainement pas le progrès de l’humanité, doivent être un « wake up call »,  le signal du réveil.