Aux sources de vos droits : lois, décrets et arrêtés
Dans les mois qui suivent, cette chronique prendra un peu de hauteur. Elle vous présentera les sources qui sont à la base de ces droits (loi, conventions collectives de travail, etc.). Rassurez-vous, les informations que vous y trouverez resteront concrètes ! Loin de la théorie pour la théorie, vous découvrirez surtout les effets de certains principes généraux sur votre quotidien au travail.
Septembre 16 - Les lois
Octobre 16 - Les conventions collectives
Novembre 16 - Les conventions individuelles (contrats de travail)
Décembre 16 - Les règlements de travail
Janvier 17 - Les conventions verbales et usages
Les lois, décrets et arrêtés
Jeanne souhaite bénéficier d’un crédit-temps. Curieuse, elle cherche la répone à ses questions dans les textes juridiques. Rapidement, elle est noyée sous une multitude de textes légaux. Lequel consulter pour trouver la réponse ? D’autant que certains se contredisent ! Comme Jeanne, vous êtes sans doute nombreux à vous perdre dans des dédales de normes. Mettons de l’ordre…
Où chercher vos droits ?
Le droit du travail est contenu dans diverses sources. Retenez que les principales sont :
• Les normes internationales et européennes
• La Constitution
• Les lois, ordonnances (à Bruxelles), décrets régionaux (en Flandre et en Wallonie) et les arrêtés
• Les conventions collectives de travail (CCT) interprofessionnelles
• Les CCT sectorielles
• Les CCT d’entreprises
• Les conventions individuelles (contrats)
• Le règlement du travail
• Des normes diverses : conventions verbales, usages, jurisprudence.
Toutes les normes ne se valent pas
L’ordre dans lequel ces normes sont présentées ci-dessus n’est pas anodin. En effet, toutes les normes ne se valent pas. A cet égard, les juristes parlent de « hiérarchie des normes ». Autrement dit, la norme qui apparaît en premier dans notre présentation l’emporte sur les suivantes. Ainsi, la Constitution prime sur la loi qui, elle-même, prime sur les CCT, etc1.
Concrètement, une norme de niveau inférieur devra respecter ce que dit la norme supérieure. Traditionnellement, on dit qu’une norme de niveau inférieur ne peut déroger à une norme de niveau supérieur qu’à la condition que son contenu soit plus favorable au travailleur. Ainsi, en cas de licenciement, une convention collective ou individuelle ne pourra déroger aux délais de préavis légaux que si elle prévoit des délais plus courts en cas de démission
et/ou plus longs en cas de licenciement. Ces délais étant plus favorables aux travailleurs. En revanche, une convention sectorielle, d’entreprise ou individuelle ne peut durcir les conditions d’accès au crédit-temps posées par la CCT interprofessionnelle régissant la matière.
Ce principe juridique se heurte toutefois à des limites politiques. En effet, à mesure qu’ils limitent les droits des travailleurs, les gouvernements empêchent de prévoir un régime plus favorable dans une norme hiérarchiquement inférieure. Par exemple, en matière de salaire, la norme salariale interdit de conclure des conventions collectives ou individuelles qui dépassent un plafond fixé par le gouvernement (plafond qui, parfois, égale 0 !). Ce qui équivaut concrètement à interdire par une norme hiérarchiquement supérieure une négociation collective qui produirait une norme inférieure plus favorable aux travailleurs. Le recours à cet artifice est malheureusement de plus en plus fréquent.
Interdire, obliger, permettre
Schématiquement, une norme peut pour¬suivre les objectifs suivants :
• Interdire : des conventions internationales ainsi que la loi belge interdisent le travail des enfants.
• Obliger : la loi oblige à rémunérer les travailleur au temps et conditions convenues.
• Permettre : la loi autorise (mais n’impose pas) l’octroi d’avantages extra-salariaux (voiture de société, chèques repas, etc.).
Certaines normes ne poursuivent qu’un seul de ces objectifs (ex. interdire le travail des enfants). D’autres en poursuivent plusieurs. A titre d’exemple, la loi sur les vacances annuelles oblige l’employeur à accorder vingt jours de congé par an à ses travailleurs. Mais elle permet aussi d’octroyer des jours de congé s’ajoutant à ce minimum légal de vingt jours.
Bref, il existe des normes auxquelles il ne peut être dérogé. Elles sont reconnaissables au vocabulaire utilisé. Retenez que l’utilisation des verbes « devoir », « falloir » (pour une obligation) ou « ne pas pouvoir » (pour une interdiction) sont le signe d’une norme à laquelle on ne peut déroger. A l’inverse, les termes « excepté », « à l’exception de » ou encore « pouvoir » indiquent que des dérogations sont permises.
Les normes internationales et européennes
Les normes internationales, européennes et la Constitution contiennent une série de règles organisant les droits des travailleurs. Ces règles sont très générales et fixent le cadre dans lequel viendront s’inscrire les normes hiérarchiquement inférieures. A titre d’exemple, la Constitution évoque la liberté de choisir son travail ainsi qu’une série d’autres droits (conditions de travail et rémunération équitables, droit à la négociation collective, etc.). Elle laisse le soin à la loi de régler ces questions en détail.
Les lois
La majorité de notre droit du travail est régi par la loi. C’est le cas notamment de tout ce qui a trait aux contrats de travail, aux modalités d’exécution du travail (la durée du travail, par exemple) ou encore de l’organisation des commissions paritaires et des CCT qu’elles adoptent.
Le système social belge se caractérise par un fort pouvoir de négociation des interlocuteurs sociaux. Il n’est donc pas rare que la loi prévoie des planchers ou plafonds à respecter (par exemple, en matière de temps de travail) et renvoie aux CCT interprofessionnelles et sectorielles pour les mesures plus détaillées.
Les ordonnances et décrets
Les entités fédérées (les Régions, principalement) ont récemment acquis un nombre croissant de compétences, y compris dans le domaine du travail et des droits sociaux (outplacement, congé-éducation payé, contrôle des demandeurs d’emploi, etc.). Il faut ainsi de plus en plus tenir compte de leurs ordonnances (à Bruxelles) et décrets (en Wallonie et en Flandre).
Retenez que les ordonnances et décrets sont placés au même degré hiérarchique que la loi. Autrement dit, quand une compétence est régionalisée, les normes régionales remplacent les règles fédérales en la matière. Toutefois, la complexité institutionnelle de la Belgique mène souvent à un partage des compétences entre l’Etat fédéral et les Régions. En matière de chômage, par exemple, l’Etat fédéral fixe le cadre (obligation de contrôles, dispenses, types de sanctions), tandis que les Régions fixent les modalité d’exécution des contrôles.
Les arrêtés
Les lois, ordonnances et décrets ne contiennent généralement pas tous les éléments permettant leur exécution par les autorités compétentes. Ainsi, des arrêtés du gouvernement dans son ensemble (arrêtés royaux au fédéral ou du gouvernement en Région) ou d’un ministre en particulier (arrêtés ministériels, tant au fédéral qu’en Région) contiennent des précisions permettant d’exécuter la loi (critères ou conditions précises, définitions, etc.).
Les arrêtés émanent des seuls ministres ou gouvernements. Ils nécessitent donc le seul accord d’une poignée de ministres et ne sont pas le fruit d’un débat au Parlement. Ils sont, dès lors, moins démocratiques et il est bien plus simple d’en modifier les termes. Ils n’en demeurent pas moins une source importante de droits et obligations. A titre d’exemple, les arrêtés royaux sur le chômage, le crédit-temps ou la prépension fixent un cadre très strict à ces régimes. Citons aussi une série d’arrêtés royaux qui aménagent des exceptions au temps de travail légalement défini (pour autoriser le travail du dimanche, dans certains secteurs, par exemple).
Michaël Maira
1 La hiérarchie présentée ci-dessus est fiable, mais simplifiée. En effet, il existe encore des niveaux intermédiaires non-présentés. Tel est surtout le cas pour les CCT où une distinction est opérée entre les CCT rendues obligatoires par arrêté royal (la majorité) et celles qui ne le sont pas. Pour plus de détails, nous renvoyons à notre future chronique sur la question ainsi qu’à l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail.