Quand le gouvernement organise le non-recours : la bureaucratie au service des inégalités
Cette année, à l'occasion de la Journée Internationale de lutte contre la pauvreté, la plateforme bruxelloise de lutte contre la pauvreté 1710.be a décidé de dénoncer le fléau de la complexité administrative subie, pénalisant particulièrement les personnes en situation de pauvreté.
Elle dénonce "[…] l’ensemble des démarches qui font obstacle et rendent impossible l’accès aux droits fondamentaux et sociaux des citoyens et citoyennes particulièrement vulnérables. Cette absurdité administrative est indigne, violente et plonge les personnes dans des situations de détresse. Parce qu’elles n’ont pas les papiers, ou qu’elles sont bloquées dans leurs démarches, ces personnes n’existent pas aux yeux de la société et sont privées de leur dignité " (1)
Notre gouvernement, à travers ses politiques de droite, organise en quelque sorte le non-recours aux droits des membres les plus vulnérables de notre société. Comment? En digitalisant l'accès aux administrations (et en délaissant l'accès physique), les citoyens privés d’emploi, de séjour, ou tout simplement les moins à l'aise avec la numérisation, ne s'en sortent plus. Ils finissent alors par ne même plus recourir à leurs droits, faute de savoir comment faire.
Oui, mais pourquoi?
Les politiques néolibérales menées depuis les années 80 ont réduit « le rôle assigné à l’État de garantir à sa population des droits sociaux à visée universelle (à la santé, à l’éducation, au travail, au logement…) » (3)
Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. (4) nous dit pourtant la Constitution belge.
Aujourd'hui, certains n'hésitent pas à interroger leurs concitoyens en leur demandant : Pourquoi êtes-vous pauvres ? (5)
Cela n’a été rendu possible que parce que notre conception de la société favorisant des droits universels a cédé le pas à une société luttant contre la pauvreté sous un angle monétaire: nous nous concentrons désormais sur la lutte contre la pauvreté en termes de revenus, en cherchant à augmenter les salaires ou à distribuer des aides financières, mais sans tenir compte des autres dimensions de la pauvreté, comme l'accès à la santé, à l'éducation, à un logement décent, ou encore à la culture.
On préfère lutter afin d’établir un seuil de pauvreté plutôt que d’obtenir des plafonds de revenus ou restreindre la place du marché.
On glisse de la redistribution de la richesse, de Services Publics désencastrés du marché, à l’aide aux pauvres et, par voie de conséquence, à leur responsabilisation en attribuant une allocation.
Aux pauvres de se débrouiller !
La pauvreté était une responsabilité collective, elle est devenue une responsabilité individuelle.
On ne combat plus les inégalités, on combat les pauvres.
Que faire?
Il est temps de combattre l’injustice fiscale pour la prospérité de toutes et tous, en participant par exemple à la Journée pour la justice fiscale, journée de mobilisation citoyenne et politique visant à promouvoir une fiscalité plus juste et équitable. En faire une question centrale et inévitable.
Lorsque les droits des plus faibles sont bafoués, n’est-ce pas la démocratie que l’on assassine ?
La lutte contre les inégalités sera le combat de tout citoyen et citoyenne.
Les droits ne se donnent pas, ils s’acquièrent par l’engagement et la lutte.
L.G
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(1) 1710.be
(2) Daniel Zamora, déplorer les inégalités, ignorer leurs causes, in Le Monde Diplomatique, 2019
(3) Op.cit
(4) LA CONSTITUTION BELGE (senate.be)
(5) William T. Vollmann , Pourquoi êtes-vous pauvres ?, Actes Sud, 2008