Actualité sociale
04/12/2024
Belgique : pourquoi la CNE refuse la traversée du désert programmée par le futur gouvernement Arizona
En ce mois de décembre 2024, les négociations du futur probable gouvernement Arizona battent leur plein. Les mesures sur la table constituent des attaques, sans précédent, sur l’ensemble de la classe travailleuse. Salaires, temps de travail, élargissement des contrats précaires, austérité et diminution des services publics, climat. Voici un tour non exhaustif des attaques prévues auxquelles nous nous préparons à résister et à leur présenter nos alternatives.
Même si l’Arizona a du mal à se mettre d’accord sur l’ensemble de ses priorités, la coalition emmenée par Bart De Wever et Georges-Louis Bouchez a de fortes chances d’aboutir et de diriger la Belgique dans les prochaines années. Mais que nous prépare-t-elle ? Éléments de réponses.
Attaques sur les salaires et les revenus
La dernière version de la note « De Wever » datant du mois d’octobre 2024, contient des mesures qui vont affaiblir les salaires bruts.
Concernant l’indexation automatique des salaires, la note prévoit de retarder l’indexation via deux mécanismes : en modifiant le calcul de l’indice santé et en passant à une indexation annuelle à la place d’un système à indice pivot pour le secteur public. Toute hausse des prix est un conflit entre travailleurs et patrons : qui la supporte ? Retarder l’indexation, c’est faire supporter de manière plus importante la hausse du coût de la vie sur les travailleurs. De plus, en cas d’inflation élevée, supérieure à 4% par an, la note propose même de ne pas appliquer les indexations au-delà d’un certain plafond de salaire.
Même si le gouvernement propose une ouverture concernant la loi de blocage des salaires, celle-ci se ferait au prix de la suppression de l’indexation automatique des salaires. En effet, il serait demandé aux patrons et syndicats de proposer une réforme concernant l’indexation ET la loi de blocage des salaires. Nous avons toujours été opposés au fait de lier les deux dossiers, car l’indexation automatique des salaires est un outil indispensable pour garantir le revenu des travailleurs face à la hausse des prix.
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Plus inquiétant encore, le gouvernement proposerait de permettre à certaines entreprises ou secteurs de ne pas appliquer les hausses de salaire prévues dans les accords interprofessionnels ou sectoriels. Ce serait possible à la condition d’un accord unanime des travailleurs ou de leurs représentants. En clair, cela pourrait permettre à certaines entreprises de contourner les minima sectoriels ou interprofessionnels pour appliquer des salaires moins élevés, ce qui créerait un nivellement par le bas des droits des travailleurs.
Attaques sur le temps de travail
Les mesures actuellement sur la table prévoient une augmentation du temps de travail.
D’abord, plusieurs attaques touchent directement aux fins de carrière, les rendant moins accessibles à de nombreux travailleurs : l’augmentation de la condition de carrière pour accéder au crédit-temps de fin de carrière, qui passerait de 25 à 35 ans ; la suppression du système des régimes de chômage avec complément d’entreprise (RCC, anciennement prépension) ; pour la pension anticipée, la pension serait réduite par un malus pour chaque année de départ avant l’âge légal (excepté pour les travailleurs avec plus de 35 ans de travail effectif).
Parallèlement, des mesures de flexibilisation du temps de travail sont prévues, modifiant profondément les conditions actuelles. La limite minimale d’heures de travail pourrait être supprimée, permettant des contrats zéro heure. Un patron peut vous embaucher sous contrat sans vous garantir un nombre minimum d’heures de travail. Par contre, vous devez bien rester disponible pour travailler quand ça l’arrange.
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Le temps de travail serait annualisé, ce qui signifie que les patrons pourraient imposer des horaires flexibles sans négociation. En outre, le gouvernement envisage de supprimer les interdictions de travail de nuit, de dimanche ou les jours fériés, tout en repoussant l’heure de début du travail de nuit à minuit (au lieu de 20h). Ces mesures s’accompagnent de nouvelles règles fiscales et sociales avantageuses pour les heures supplémentaires, notamment en augmentant le plafond des heures supplémentaires « de relance » à 360 par an (contre 120 actuellement).
Précarisation du travail
Pour le futur gouvernement Arizona l’objectif est clair, bye-bye le contrat stable en CDI qui permet de vivre dignement, bonjour les multiples emplois sans garanties de boucler les fins de mois. La note de Wever ouvre toutes les vannes sur les contrats précaires. Les patrons se voient garantir une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci. Voici deux exemples.
La future coalition NVA-MR-Engagés-Vooruit veut faciliter les flexi-jobs (suppression des plafonds) et potentiellement les étendre à tous les secteurs. Dans ce système, le travailleur se rend disponible pour travailler en plus de son contrat (min. 4/5ème temps). D’une main on bloque les salaires, de l’autre on facilite et normalise le fait qu’il faut deux (ou plus) boulots pour s’en sortir.
Dans la plupart des familles, les enfants travaillent pour payer leurs études. Le futur gouvernement veut développer le travail étudiant (pérennisation des 600h par an à cotisations sociales réduites) et supprimer tout effet sur le statut de personne à charge et les allocations familiales. Bonne nouvelle ? On sait pourtant que plus un étudiant travaille moins il a de temps pour étudier et plus ses résultats diminuent. Les étudiants sont utilisés pour dégrader progressivement les conditions de travail. Exemple : dans les magasins franchisés, les étudiants sont nombreux à travailler le dimanche et en soirée. Cette situation sert maintenant de justification au gouvernement pour supprimer les limitations légales au travail du dimanche et du soir.
Économie dans les services collectifs
Les travailleurs contribuent grandement au budget de l’Etat et de la Sécurité sociale parce que payer collectivement l’école, la santé ou les transports publics nous coûte moins cher que de le faire chacun sur base individuelle. Demandez à un Britannique ce que coûte le train privatisé ou à un Américain ce que coûtent les assurances de santé privées. Spoiler Alert ! Le privé coûte beaucoup plus cher pour un service de moins bonne qualité. Pourtant, le futur gouvernement, sous la menace de l’Union européenne, prévoit plus de 25 milliards d’économies sur l’ensemble de la prochaine législature. Ils ne s’attaquent donc pas seulement à nos conditions de travail et de vie individuelles, mais aussi à notre salaire collectif.
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Concrètement, ce sont 250 millions de moins pour la SNCB et la Poste, des projets de privatisation des sociétés publiques, moins d’argent pour la recherche et moins d’argent pour notre Sécurité sociale.
Des économies de 520 millions sur le budget de la santé sont en discussion. Les indemnités de maladies sont aussi revues. Par exemple : (ré)introduction du jour de carence pour tous les travailleurs (le premier jour de maladie n’est pas payé) et perte du salaire garanti en cas de rechute dans les 12 semaines.
Pour les pensions, ce sont 3 milliards d’euros d’économies qui sont prévues notamment en durcissant l’accès à la pension minimum (35 ans de carrière) et en limitant les périodes assimilées (des périodes assimilées à du travail comme le congé de maternité, les périodes d’invalidité, les vacances…).
Le climat, le grand absent
Aucune mesure climatique n’est actuellement mentionnée dans la note de base des négociateurs. Cependant, des mesures d’austérité budgétaire, c’est-à-dire de réduction des dépenses publiques sont bien à l’ordre du jour. Or, l’austérité est incompatible avec les investissements massifs requis pour la transition climatique et la transition juste.
Conclusion ?
Ces mesures visent aussi à nous diviser en nous mettant en compétition. C’est le rapport de force de l’ensemble des travailleurs qui est visé.
Pourquoi un patron engagerait-il un CDI à temps plein ou améliorerait-il les conditions de travail s’il peut engager des étudiants, des flexi-jobs ou des contrats zéro heure qui n’oseront pas discuter.
En bloquant les salaires, gouvernements et patrons obligent les travailleurs à courir après des primes et des heures supplémentaires, à accepter des emplois précaires en plus de leur emploi habituel. Pressés par les factures, on devrait accepter de brader nos protections collectives, au bénéfice du privé.
Cerise sur le gâteau, de nombreuses mesures sont défiscalisées ou se font sur le dos du budget de l’Etat. Pourtant, comme discuté en détail dans le Droit de l’Employé de septembre 2024), la dette est surtout l’épouvantail qui justifie l’adoption de politiques néolibérales. D’une main, ce projet définance l’Etat et la Sécu pour ensuite justifier « des réformes douloureuses » et pousser des solutions privatisées... au profit de ceux qui les vendent.
Si les mesures précises sont encore en discussion, il n’y a pas de doute sur son programme : appauvrir les travailleurs au profit des entreprises et de leurs actionnaires. La CNE en tous les cas, ne se laissera pas faire sans rien dire.