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L’austérité : ce faux remède aux déficits

L’arrivée des nouveaux gouvernements marque le retour d’une politique d’austérité. Cette politique se justifie-t-elle ?
C’est quoi l’austérité ? L’austérité est une politique économique où un gouvernement décide de dépenser moins d’argent. Cela peut sembler raisonnable, surtout si les finances sont en difficulté. Mais en réalité, cela signifie souvent moins d'argent pour les Services publics comme les hôpitaux, les écoles, et même les crèches. Moins d’argent pour ces services peut affecter directement la vie quotidienne des citoyens. 

Deux raisons expliquent ce retour à l’austérité : l’Europe et les gouvernements de droite.  
D’abord, les nouvelles règles budgétaires européennes, adoptées en juin. Celles-ci réintroduisent les règles de déficit et de dette désactivées durant la pandémie, les assortissent de nouvelles règles et donnent pour la première fois à la Commission européenne le droit d’intervenir dans la trajectoire budgétaire des Etats. La trajectoire fixée à la Belgique détermine un montant d’économies d’environ 25 milliards d’euros en quelques années. La Belgique n’a plus réalisé de tels efforts budgétaires depuis les années 1990, à l’époque où elle voulait rentrer dans la zone euro. La deuxième force, ce sont les gouvernements issus des élections du 9 juin. Bien plus à droite, ceux-ci sont largement à l’aise avec cette politique d’austérité, qui fait partie de leur programme. Le gouvernement wallon MR-Engagés, formé en juillet, dit s’engager à respecter les demandes européennes. Il ira même plus loin. Il annonce vouloir créer une « règle d’or » budgétaire wallonne, c’est-à-dire une loi qui oblige à ramener puis à maintenir la dette wallonne sous un certain niveau. Il prévient que ses efforts budgétaires se feront en diminuant les recettes, c’est-à-dire la taxation, et les dépenses. On réduira donc la dette avec des recettes en diminution, ce qui obligera à de fortes diminutions de dépenses. Il ne suffira pas de diminuer le nombre de ministres et de conseillers communaux pour trouver l’argent. Les Services publics, donc le citoyen, seront nécessairement touchés. Il est pudiquement question dans la déclaration politique wallonne de « diminution du poids de l’appareil public ».  

Phobie de la dette : le japon plus endetté que la Belgique 
Pour faire passer la pilule de l’austérité, rien de tel qu’une bonne phobie de la dette. Le gouvernement wallon le martèle, « les finances publiques wallonnes sont dans un état catastrophique ». Mais plutôt que de répéter des slogans, il est utile de prendre du recul. Le Japon a un ratio d’endettement de 245% du PIB. Depuis 17 ans, son ratio a toujours dépassé 150% du PIB et a en fait continuellement augmenté. Si l’on suivait le discours du MR-Engagés, on déclarerait le Japon en faillite. Il n’en est rien. Le Japon n’éprouve aucune difficulté à vendre sa dette souveraine sur les marchés financiers. Cette dette est un actif sûr, indispensable aux marchés financiers, car la Banque centrale du Japon n’hésite pas à racheter cette dette s’il y a des difficultés. Du coup, les investisseurs restent calmes. Qu’en est-il de la Belgique ? Avec un ratio de dette souveraine de 105% du PIB, bien moins que le Japon, on devrait être rassuré. Mais la situation n’est pas aussi claire, car la banque centrale qui a le pouvoir de racheter la dette belge en cas de difficultés, c’est la Banque centrale européenne (BCE). Et elle le fait quand elle veut bien. En 2010, la BCE a refusé de racheter la dette de la Grèce, vraie raison de la terrible crise endurée par ce pays. La Belgique connaîtrait-elle le même sort si elle ne réduit pas sa dette très rapidement ? C’est peu probable. Les fondamentaux économiques de la Belgique sont bien meilleurs que ceux de la Grèce de 2010. Ensuite, la BCE a évolué. En cas de crise, elle vole au secours des Etats, on l’a vu durant la crise Covid. Enfin, la dette souveraine est devenue la clé de voûte du système financier, indispensable aux acteurs financiers. Ce qui pousse encore davantage la BCE à veiller au grain. En résumé, réduire la dette de la Wallonie ou de la Belgique n’est pas une question vitale. Elle aurait en outre des effets néfastes, en réduisant la croissance économique et en relevant le ratio d’endettement. Entre 2010 et 2014, période d’austérité imposée comme aujourd’hui par l’Europe, le ratio d’endettement de la Belgique a grimpé de 109% du PIB à 131% du PIB. Il y a d’autres urgences : adapter notre société au changement climatique, refinancer les Services publics qui sont exsangues : justice, crèches, hôpitaux, universités... 

Sérieux budgétaire ?  
Il faut aussi interroger l’image de sérieux budgétaire que se décerne le nouveau gouvernement wallon. Une image contredite par les baisses de taxes que celui-ci envisage. Ainsi, les taux de taxation sur les héritages vont être divisés par deux en Wallonie. On ne voit pas comment une telle mesure aiderait la Wallonie à boucler son budget, a fortiori à dégager des surplus budgétaires pour réduire la dette. C’est comme si on vous disait qu’une baisse de salaire va vous aider à rembourser vos dettes. Ce raisonnement était déjà celui qui avait permis au gouvernement Michel (2014-2019) de justifier son Tax shift. Au lieu de créer de l’emploi et de réduire la dette, cette mesure avait creusé un trou dans les finances de l’Etat.  

La dette publique, une manière de justifier des politiques néolibérales 
S’il n’y a pas de raisons sérieuses qui poussent à réduire la dette, ce discours de réduction des dépenses permet en fait aux gouvernements d’imposer leurs réformes néolibérales contre les intérêts des travailleurs : réforme des pensions imposée par la Commission européenne, probable réforme de l’indexation automatique des salaires (prévue dans la « supernota » de la probable future coalition Arizona), diminution et marchandisation des Services publics… Et pourtant, nous avons grandement besoin d’investir dans les Services publics et collectifs et dans la transition écologique et sociale. Pour au moins deux raisons.  

On connaît cette formule : « le Service public, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas ». Les Services publics sont un des leviers les plus puissants pour réduire les inégalités et garantir à toutes et tous l’accès aux indispensables : un enseignement et des soins de santé de qualité, l’eau, les transports en commun, etc. Lorsque la droite promet plus de salaire net aux travailleurs en réduisant les dépenses pour les Services publics ou la Sécurité sociale, elle nous fourvoie. En effet, si la protection en soins de santé ou le montant des pensions diminue, ce sera toujours aux travailleurs de sortir l’argent de leur poche pour se soigner ou pour souscrire à une épargne-pension. La seule différence, et non des moindres est la suivante : la contribution à la protection sociale ne se fera plus sous la forme de cotisations sociales ou d’impôts dans une logique solidaire « les épaules les plus larges contribuent le plus » mais sous la forme d’assurances privées selon la logique « ceux qui sont le plus à risque payeront plus » et en rémunérant des actionnaires au passage.  

Une récente étude de Minerva le prouve1 : si on comptabilise toutes les dépenses d’un pays pour la protection sociale (que ce soit les dépenses publiques, les assurances privées – obligatoires ou volontaires-, et le coût des incitants fiscaux – par exemple pour l’épargne pension), la Belgique consacre une partie moins importante de sa richesse (PIB) aux dépenses sociales que les Pays-Bas, l’Allemagne ou les Etats-Unis, ces derniers étant pourtant connus pour une très faible protection sociale publique et un faible niveau d’impôts.  

Seconde raison : le coût de ne pas agir contre le réchauffement climatique est immense : l’agence européenne de l’environnement a calculé que les impacts combinés du réchauffement climatique pourraient détruire 30% de la richesse européenne (mesurée par le PIB) d’ici 2070 et 60% d’ici 20802. Ces montants sont faramineux, bien plus importants que les investissements à hauteur de 5 à 10% du PIB européen par an nécessaires face à l’urgence climatique.  

De l’argent, il y en a…  
Pour financer cela, de nouvelles recettes seront nécessaires et elles existent. Voici quelques pistes (l’estimation des montants provient du Bureau fédéral du Plan) : 

  • Un impôt sur la fortune (sur le patrimoine de plus de 1,25 millions d’euros hors résidence principale et activité professionnelle) rapporterait 7,6 milliards d’euros par an.  
  • Une taxation sur les plus-values sur action (le fait que des actionnaires revendent leurs actions plus chères que ce qu’ils les ont achetées) rapporterait 2,9 milliards d’euros par an
  • La globalisation des revenus du travail et du capital (que les revenus des intérêts et dividendes soient taxés comme le salaire) rapporterait 6,4 milliards d’euros par an.  
  • Instaurer une cotisation sociale patronale sur les avantages extralégaux (comme sur le salaire brut) rapporterait 1,5 milliard d’euros par an.  
Pour obtenir de nouvelles recettes, des investissements dans la transition écologique et des Services publics forts et accessibles à toutes et tous, nous avons besoin de lutter ensemble (Voir notamment l'appel à la manifestation du 7 novembre à l'initiative du Non Marchand).  
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